Vendeuses de rêves, stars ''mbrakata'', ''influmenteuses''... si vous êtes actifs sur les réseaux sociaux au Cameroun et peut-être même en Afrique francophone, vous avez déjà au moins une fois entendu ces expressions généralement péjoratives utilisées pour qualifier les influenceurs/ses et créateurs de contenues. Selon ces justiciers version 2.0, la décadence actuelle de la jeunesse est la seule responsabilité des influenceurs, ils montrent le mauvais exemple , font la promotion de toutes sortes de décadences…
Seulement des personnes derrière leur caméra sont ils responsables des actes que posent vos enfants au quotidien et des conséquences qui en découlent ? Dans ce jeu a somme nulle ou chacune des parties pointe l'autre du doigt, les victimes se multiplient chaque jour et il est temps de recentrer le débat sur ce qui est vraiment important, les jeunes.
1- Qu'est-ce qu'un influenceur ?
Au sens strict un influenceur est toute ''Personne qui influence l'opinion, la consommation par son audience sur les réseaux sociaux.'' Plus specifiquement, "Un influenceur ou un créateur de contenu est une personne qui utilise un blog personnel et/ou tout autre support (forums, réseaux sociaux et communautés) pour diffuser ses opinions auprès des internautes et qui est capable d'influencer ces derniers en modifiant leurs modes de consommation."
À partir de ces deux définitions, on peut conclure que 3 points caractérisent un influenceur :
- Il utilise comme canaux de communication les réseaux sociaux
- Il diffuse ses opinions auprès de son audience
- Il est capable d'influencer les avis et/ou les habitudes de consommation
Comment devient-on influenceur ?
Plusieurs catégories d'influenceur sont à distinguer :
- Ceux qui sont experts dans un domaine précis et partagent leur passion auprès d'une audience qu'ils ont bâti avec les années
- Ceux qui donnent leur avis sur des produits ou services après consommation qu'on qualifie aussi d'évaluateur
- Ceux qui vont diffuser sur les réseaux des nouveautés dans un ou plusieurs domaines
- Les acteurs, les sportifs et les musiciens sont également des influenceurs et peuvent, à un moment donné, utiliser les méthodes que celles citées plus haut.
2- Le paysage de l'influence au Cameroun
Maintenant que le décor est planté voyons qui sont les influenceurs au Cameroun ?Avec 5 millions d'utilisateurs en moyenne en janvier 2025, le Cameroun présente l'un des taux de pénétration d'internet les plus élevés (du moins en Afrique francophone). Ces utilisateurs sont répartis sur différentes plateformes ; La plateforme Facebook domine largement le paysage avec 91,99% suivi de Twitter 5,25%, Pinterest (0.97%), Instagram (0.73%), Youtube (0.72%), LinkedIn (0.16%), et enfin TikTok dont les données statistiques ne sont pas accessibles mais qui concentre une audience plus jeune.
Pour ce qui est des niches, le paysage de l'influence au Cameroun est majoritairement construit autour de:
- construit autour de la comédie, le gossip et les ''lanceurs d'alertes''. Ceux-ci arrivent en tête de liste en terme d'audience ainsi que de taux d'engagement.
- On a ensuite les influenceurs beauté, segment majoritairement dominé par les femmes qui vont proposer à leur audience des produits pour les cheveux, la peau, etc. On peut souligner que ce segment est dominé par celles qui proposent des produits éclaircissants (mais ça c'est un autre débat).
- Des segments tels que la mode, le tourisme, la cuisine se démarquent aussi sans pour autant susciter le même engagement.
Un influenceur au Cameroun est donc soit un acteur/actrice/musicien/sportif qui partage son audience et aussi souvent son lifestyle avec son audience, une personne qui relaie le contenu des premiers avec humour, critique, bienveillance ou même méchanceté sur sa page, une personne qui relaie les informations sur les accidents de la route, les vols, les secrets ou la vie des personnalités publiques. Même si ces profils atypiques dominent le paysage, de nombreux créateurs de contenu partagent du contenu sain et utile et se font une place dans ce paysage.
3- Que font ces influenceurs au quotidien ?
Comme nous l'avons vu plus haut, un influenceur partage son opinion à son audience. Selon leur caegorie voici le quotidien des influenceur dans cet environement.
- Les influenceuses beauté présentent majoritairement des tutoriels maquillage, des revues de produitscosmétiques, et des conseils sur les soins de la peau ou des cheveux. Elles mettent souvent en avant certaines marques avec lesquelles elles ont des partenariats, créant ainsi une perception de nécessité chez leur audience jeune. Elle « créent une relation de proximité qui donne l'impression d'un conseil d'amie plutôt que d'une publicité. »
- Les influenceurs comédiens produisent du contenu humoristique souvent basé sur des situations quotidiennes camerounaises. Ils utilisent parfois un langage familier voire vulgaire et mettent en scène des comportements qui peuvent être mal interprétés par un jeune public. Leur humour, bien que divertissant, normalise parfois des comportements problématiques comme la consommation d'alcool,les relations toxiques ou le matérialisme excessif.Les
- Les influenceurs tourisme présentent des destinations locales. Certains valorisent l'expérience immédiate plutôt que les efforts nécessaires pour atteindre ces niveaux de vie, créant des attentes irréalistes chez les jeunes suiveurs.
- Les influenceurs gossip se spécialisent dans le partage d'informations privées sur les personnalités publiques, souvent sans vérification ni respect de la vie privée. Ils normalisent l'intrusion dans l'intimité d'autrui et encouragent indirectement le cyberharcèlement.
Ces comportements, bien que problématiques dans certains cas, ne font pas pour autant de ces influenceurs les responsables directs de l'éducation de vos enfants.
4- La responsabilité inaliénable des parents dans l'éducation de leurs progénitures
C'est vous qui mettez dans les mains de votre enfant l'outil qui permet de suivre les influenceurs :
- - Vos enfants font ce qu'ils vous voient faire : c'est indéniable. Les chiffres de l'audience sur les réseaux sociaux montrent que les parents sont souvent plus actifs que leurs enfants sur ces plateformes. Une étude menée par l'UNESCO en 2024 révèle que 67% des parents passent plus de 3 heures quotidiennes sur les réseaux sociaux, créant ainsi un modèle d'utilisation excessive pour leurs enfants. Comment exiger de votre enfant qu'il limite son temps d'écran quand vous-même ne parvenez pas à décrocher de votre téléphone pendant les repas familiaux ?
- - C'est votre manque d'attention et votre inattention qui jette vos enfants en pâture aux influenceurs. Les enfants ne se tournent pas vers les réseaux sociaux par hasard, mais pour combler un vide affectif ou communicationnel. Comme l'affirme le psychologue Jean-Claude Nzamba : «L'influence des médias sociaux est inversement proportionnelle à la présence parentale qualitative.» Ce n'est pas l'influenceur qui s'invite dans votre foyer, c'est vous qui lui cédez votre place par votre absence émotionnelle.
- - Votre enfant, votre responsabilité : si votre enfant n'est pas capable de voir en vous un modèle et doit en chercher un dans le monde virtuel d'internet, cela montre à suffisance votre échec en tant que parent. Les valeurs familiales ne s'acquièrent pas sur TikTok ou Instagram, mais à travers les interactions quotidiennes, les discussions ouvertes et les exemples concrets que vous donnez.
De nombreux parents aujourd'hui considèrent que nourrir un enfant et l'envoyer à l'école est suffisant, que nenni ! En tant que parent, vous avez la responsabilité et même l'obligation dedonner à votre progéniture un cadre de vie qui garantisse son épanouissement :
- - La communication : Évoquez avec vos enfants tous les sujets, surtout les sujets très sensibles liés à l'éducation sexuelle, la consommation des stupéfiants, l'argent et les finances. Si vous ne le faites pas, ils vont se diriger vers la première personne qui va évoquer ces sujets et ne seront pas capables d'identifier les biais dans le raisonnement de cette personne. « c'est le Le silence parental crée un vide queles médias sociaux se chargent de combler, souvent de manière inappropriée »(Auteur inconnu).
- - L'écoute : écoutez vos enfants, leurs préoccupations et leurs questionnements. L'écoute active est le premier rempart contre l'influence néfaste extérieure. Un enfant qui se sent entendu et compris cherchera moins à s'identifier à des modèles virtuels souvent superficiels. Accordez-leur du temps de qualité loin des écrans pour discuter de leurs journées, leurs rêves et leurs craintes.
- - Prêchez par l'exemple : faites ce que vous voulez que vos enfants fassent. Si vous voulez que votre enfant lise, lisez vous-même. Si vous souhaitez qu'il adopte une attitude responsable sur les réseaux sociaux, montrez-lui comment le faire. L'exemple parental reste le plus puissant outil d'éducation.
5- Et pendant ce temps que fait le législateur ?
Les réseaux sont bien partis pour faire partie de notre vie et pour longtemps en 2025 et seule une réglementation sérieuse limitera les dégâts sur les grands comme sur les petits. Dans de nombreux pays, il est clairement défini ce qu'un influenceur a le droit de faire ou de ne pas faire. Il demeure de la responsabilité du législateur d'assainir le paysage numérique du pays et de protéger les citoyens des toutes dérives qui pourraient résulter de leurs actions.
En terme de responsabilité civile :
- Le législateur doit veiller à la transparence de l'information entre l'influenceur et son audience. Et puisque les plus jeunes font l'objet de cet article, la loi doit prévoir des sanctions pour toutes personnes qui font de la publicité pour paris sportifs et tout autre produit non autorisé, auprès d'une audience jeune. En France, la loi ARCOM de 2023 peut servir de modèle, avec ses obligations claires de mention "#publicité" ou "#partenariat" pour tout contenu sponsorisé.
- Prévoir des réparations à hauteur de l'infraction en cas de publicités mensongères ou de toutesactions qui mettent en danger la vie, la santé physique et psychique d'une audience jeune. Ces sanctions doivent être dissuasives et proportionnelles à l'audience touchée, pas seulement aux revenus générés.
En terme de responsabilité pénale:
- De nombreuses plateformes relaient aujourd'hui les images de jeunes enfants filmés sans leur consentement, et parfois à leur insu dans le but de ''sensibiliser'' disent-ils. Ces policiers de la bonne morale ignorent totalement les ravages de leurs actions sur leurs jeunes victimes et il est temps qu'ils soient interpellés pour leurs actions et que la facture dissuade les diffuseurs de sensations.
Le droit à l'image des mineurs devrait être renforcé avec des amendes significatives pour toute diffusion non autorisée, comme c'est le cas dans plusieurs pays où les sanctions peuvent atteindre des sommes considerables.
- La nouvelle loi fiscale sur la déclaration des revenus va aider à étouffer la naissance des ''mangeuses de pierres précieuses'' qui sortent de nulle part, font la promotion d'un style de vie extravagant sans revenu apparent et véhiculent le culte de la facilité. Le fisc camerounais devrait s'inspirer du modèle français qui oblige depuis 2022 tous les influenceurs à déclarer leurs revenus, y compris les cadeaux et avantages en nature, sous peine de sanctions fiscales lourdes.
Pour conclure cet article, il n'y a aucun doute qu'une éducation aux médias sociaux est nécessaire pour une utilisation plus saine et plus responsable, que ce soit auprès des plus jeunes ou même des adultes qui restent jusqu'ici très peu responsables de leurs actions numériques.
- Aux parents : si vous pensez qu'une personne derrière sa caméra est responsable de l'éducation de vos enfants, vous avouez ainsi qu'ils ne sont pas en sécurité sous votre toit ; il est temps de prendre en main vos responsabilités et de protéger vos enfants. « La parentalité numérique n'est pas une option mais une nécessité dans notre ère connectée ».
- Aux influenceurs : cet article n'est nullement pour vous dédouaner de vos actions parfois malsaines, vous ne faites que ''vivre votre vie'' comme vous aimez l'affirmer, mais reconnaissez que vos actions ont une influence surtout auprès des plus jeunes dont la personnalité est en pleine construction. C'est toute la société, vous y compris, qui souffrira de l'explosion de la criminalité due à la consommation des stupéfiants et toutes les dérives qu'on décrie aujourd'hui chez les plus jeunes.
- Au législateur : il est plus qu'urgent de réglementer l'activité digitale afin d'assainir le paysage, et protéger les grands comme les petits. Le cadre juridique camerounais actuel est insuffisant face à l'évolution rapide des technologies et des pratiques sur les réseaux sociaux. Une éducation aux médias et aux réseaux est à faire de zéro et on ne saurait nier l'importance croissante de l'intégrer dans les programmes scolaires dès le plus jeune âge. Comme le souligne l'UNESCO : «L'éducation aux médias n'est plus un luxe mais une compétence fondamentale pour le citoyen du 21ème siècle. »
La responsabilité est partagée, mais elle commence d'abord au foyer. Les influenceurs ne sont que le reflet d'une société qui valorise l'apparence et l'instantané. C'est à nous, parents, éducateurs et législateurs, de recréer un cadre où nos enfants pourront grandir avec des valeurs solides, capables de faire la part des choses entre le réel et le virtuel.
Sources:
- Semji, edu.gouv, Babilou, epsilonmelia,ionos,emarketing,Rosy,pixabay,europeconso